Un patient me disait récemment : « où puis-je trouver de la documentation montrant les dangers de la suppression ? Ma fille veut mettre une pommade sur l’eczéma du cuir chevelu de son bébé et ne veut pas me croire quand je lui dit que c’est dangereux ». Ceci me fit rechercher dans la littérature, et malheureusement ce que j’ai trouvé est bien maigre. D’où cette tentative qui me semble être d’une réelle importance.
Tout d’abord, définissons ce qu’est une suppression : par suppression, on entend qu’on fait disparaître une manifestation de la maladie avant que la maladie elle-même soit guérie.
Ce sujet de la suppression semble être un des plus importants, d’un point de vue homéopathique, mais l’un des moins familiers à l’esprit médical ordinaire. Dans la médecine régulière nous rencontrons continuellement des exemples de suppression, et vraiment, de notre point de vue, tout ce qui est de l’ordre de la médecine usuelle (allopathique), et qui n’est pas inconsciemment homéopathique, est de l’ordre de la suppression.
Il existe des types variés de suppression :
1 - Des suppressions accidentelles et naturelles, qui ne sont pas dues à une quelconque médication, telles que la suppression d’une forte émotion due aux exigences non naturelles de notre vie sociale. Ce sont des suppressions plus ou moins conscientes, bien que l’importance de leurs résultats ne soit habituellement pas connue, et que l’individu soit très fier de faire disparaître ces émotions. Il existe un deuxième type de suppressions accidentelles qui viennent de chocs nerveux importants tels que des chagrins ou des mortifications. Un troisième type de suppression naturelle est dans le domaine physique, comme la suppression des règles par un bain, ou des lochies supprimées après travail en attrapant froid, ou encore la suppression brutale de la lactation ou de la transpiration par le froid. Ensuite il existe aussi un type de suppression d’une maladie par une autre, ceci étant fréquemment cité dans l’Organon. Ceci peut prendre la forme d’une maladie aigue primitive, cachée par une seconde maladie aigue, et qui subsistera jusqu’à ce que la seconde maladie soit guérie ; ou bien ce peut être une maladie aigue qui suspend le cours d’une maladie chronique jusqu’à la fin de cette maladie aigue. Le contraire de ceci est le cas d’une maladie chronique permettant le développement puis l’arrêt d’une maladie aigue ; on pourrait classer ce genre de cas parmi les suppressions bien qu’on pense plutôt habituellement à un problème d’immunité.
2 – Un deuxième type de suppression, très fréquent en allopathie de nos jours, est la suppression par des applications locales. Ceci est rencontré dans de nombreux domaines. Par exemple, les coryzas et les sinusites sont supprimés par des applications locales de sels d’argent, d’iode, et d’autres substances, les leucorrhées et écoulements uréthraux par des injections de mercurochrome et de permanganate ; les éruptions, depuis les éruptions aigues comme la gale et l’impétigo, jusqu’aux éruptions chroniques comme l’eczéma et le psoriasis, par des préparations à base de zinc ou de soufre, ou encore à base de mercure ammoniacal et de nombreux autres. Les rashes dus aux exanthèmes, qui peuvent être classés parfois parmi les suppressions naturelles, peuvent être « rentrés » par l’usage immodéré de packs réfrigérants. D’autres sécrétions, comme la transpiration des pieds, sont souvent supprimés par des poudres ; le pus des conjonctivites par des sels d’argent ; les ulcères variqueux par des enveloppements divers, et les verrues par de l’acide trichloracétique ou des moyens électriques. De plus, nous avons la suppression locale dans de nombreuses affections par différentes lampes, par des rayons violets par exemple, etc… Les hémorragies sont supprimées par des astringents locaux, comme l’acide tannique, ou par des anticoagulants locaux comme la thromboplastine ; ceci pose la question de savoir si un remède homéopathique comme Ceanothus americanus doit être classé comme curatif ou suppressif.
3 – Maintenant nous devons aborder les affections supprimées par les médications internes actuelles : par exemple le paludisme, qui lorsqu’il n’est pas de type quinine, est simplement supprimé par des doses massives de quinine, ce qui résulte souvent en névralgies récurrentes ; les fièvres rhumatismales aigues, quand le patient est submergé par des doses massives de salicylés, provoquant la suppression des symptômes articulaires et l’évolution interne de la maladie vers une affection cardiaque ; l’épilepsie et la chorée sont souvent masquées par des sédatifs et les maladies de coeur par des digitaliques.
4 - La maladie est trop souvent supprimée par la chirurgie : l’ablation de tumeurs bénignes ou malignes, de polypes, les amygdalectomies, les appendicectomies, l’ablation des varices, des hémorroïdes, des fistules et des hypertrophies osseuses. Le problème ici est que la médecine moderne cherche à enlever la maladie plutôt que de guérir la cause sous-jacente, ne réalisant pas que les buts ultimes de la maladie sont des tentatives vers une extériorisation bénigne des troubles, vers des localisations qui protègent le patient.
5 – La plus insidieuse de toutes les suppressions sont celles des vaccins, lesquelles sont actuellement si importantes, puisqu’un enfant peut recevoir jusqu’à sept ou huit vaccins dans la même année. Je connais une famille de sept enfants d’un médecin allopathe connu qui a reçu en une année les vaccins contre la diphtérie, la scarlatine, la coqueluche, la typhoïde, la paratyphoïde et la variole, et deux des sept enfants ont reçu également des extraits de pollens de graminées.
6 – Il y a aussi toute la question de la suppression de la syphilis par des traitements à base d’arsenic ou de mercure que de nombreux médecins allopathes utilisent, et qui tendent à développer plus tard des graves lésions tertiaires en même temps que s’installent les effets secondaires des drogues.
7 – Il existe un autre aspect des suppressions, celui de la suppression des symptômes individuels, et ceci peut être fait avec des remèdes homéopathiques comme avec des remèdes de la vieille école. N’oubliez jamais que de faire un traitement palliatif à un cas qui peut être guéri est une suppression. Cela vous entraînera dans des changements continuels de remèdes, une sorte de « push in the corner » avec les symptômes. Ceci masquera le tableau véritable et fondamental de la maladie, et la compliquera au point de la rendre incurable. On ne réalise pas que la plupart des médecins homéopathes le pratiquent à un degré tel que c’en est effrayant.
Je n’ai pas besoin de détailler les mauvais effets de ces différents types de suppressions, vous les avez tous vus. Ceci inclue l’asthme, les convulsions, les paralysies, la tuberculose, la folie, et les maladies profondes des organes vitaux. L’an dernier, le Dr Stearns publia un article sur « les symptômes des prodromes et leur importance dans la prescription ». Le mien devrait être intitulé « les premières suppressions ou les suppressions des prodromes, leur importance dans la prescription ». Dans chaque cas, nous devons « chercher, non pas la femme, mais la suppression » (en français dans le texte). Est-ce que nous prescrirons pour les symptômes avant que la suppression s’installe ? Est-ce que nous utiliserons la forme de la suppression en tant que symptôme dans la totalité des symptômes que nous utiliserons ? Est-ce que nous prescrirons principalement pour le syndrome actuel post suppression ? Nous devons nous souvenir que la suppression dans chacune de ses formes fait « rentrer » la maladie, masque les symptômes, provoque des changements inconstants dans le tableau de la maladie et bloque l’évolution naturelle de la maladie.
La maladie est le Minotaure dans le Labyrinthe. Thésée, le symptôme, doit rebrousser chemin et retrouver la sortie du Labyrinthe. Ne coupez pas la corde !
Lu à la réunion de juin 1929 du bureau de la « Philosophie Homéopathique ».
Dans la discussion qui suivit, outre les compliments d’usage, deux interventions méritent d’être rapportées, car elles semblent toujours d’actualité :
Tout d’abord, celle du Dr MacLaren :
« Juste un mot au sujet de la suppression. Pendant plus de cent ans, la vieille école en est venue à la conclusion que chez les enfants, l’asthme et l’eczéma sont une même maladie, et que l’asthme est une autre manifestation de l’eczéma ; en d’autres termes, ils sont causées par la même condition, et ce sont simplement deux manifestations différentes (d’une même maladie).
Nous autres homéopathes avons considéré l’eczéma comme étant la manifestation de la maladie, et l’asthme comme étant la manifestation de la suppression. Si vous ne donnez aucun remède à tous ces cas, et si vous ne laissez donner aucun remède ni aucune application, vous trouverez parfois à la fois l’asthme et l’eczéma chez le même enfant en même temps ; d’autres fois, vous trouverez l’enfant avec de l’eczéma, et d’autres fois vous le retrouverez avec de l’eczéma. Je ne veux pas dire que vous ne pouvez pas mettre une pommade et supprimer l’eczéma et ensuite développer l’asthme, mais je ne pense pas qu’il soit juste de dire que tous les cas d’asthme sont dus à une suppression, quand il existe des antécédents d’eczéma. C’est simplement une autre manifestation, bien que j’admette que pouvez rencontrer aussi une suppression.
Je ne pense pas que nous devrions considérer tous ces cas de suppression comme étant quelque chose suivant naturellement une mauvaise méthode de traitement. Une femme est venue me voir il y a quinze jours avec un asthme durant depuis trois ans. Je lui ai donné un remède. Elle m’a appelé il y a trois jours en disant : « je ne peux pas prendre le remède, docteur, l’expectoration a disparu ». Je lui ai dit d’arrêter de le prendre et que je réétudierai le cas. Je n’avais pas l’intention de faire une suppression ; à l’évidence, je n’avais pas frappé au bon endroit ; Je n’appellerais pas cela une aggravation, je l’appellerais simplement une suppression, une suppression homéopathique ».
La deuxième intervention intéressante était celle du Dr Farr :
« J’ai été très intéressé par l’intervention du Dr Wright, de ce point de vue : si vous avez suivi la littérature récente de ces cinq ou six dernières années, vous trouverez que nous avons une nouvelle force dans notre thérapeutique, qui est celle de notre plus récente psychologie. J’ai été très heureux d’entendre parler le Dr Wright parler des suppressions psychiques et physiques, parce que les psychanalystes trouvent que les maladies soi-disant incurables qui ont été traitées par des médicaments et par des formes variées de thérapies sont ni plus ni moins que des suppressions. Je pense que cela aide l’homéopathie à instituer le principe de base que les maladies chroniques sont très souvent dues à des suppressions, de même que nos amis psychanalystes trouvent que les suppressions mentales existent aussi vraiment ».
Quelques mots de commentaires.
Les différentes suppressions sont très bien décrites par Elizabeth Wright ; on peut simplement lui faire les questions suivantes :
Qu’appelle t-elle guérison ? Si cela est comme elle le dit en conclusion retrouver la sortie du labyrinthe par où l’on est rentré, ceci pose la question de savoir si l’on est resté le même après être passé par et sorti du labyrinthe : comme le dit si bien Héraclite, on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve…L’homme guéri est enrichi de son expérience d’homme malade et n’est plus tout à fait le même.
La deuxième question que soulève l’auteur est la suppression provoquée par des traitements allopathiques, médicaux (digitaliques dans l’insuffisance cardiaque) ou chirurgicaux (ablation des tumeurs malignes) : pouvons nous encore tenir ce langage de nos jours ?
Le Dr MacLaren pose le problème de l’évolution naturelle des maladies, en particulier de ce terrain atopique caractérisé par la succession spontanée d’eczéma puis d’asthme : dans ce cas là peut-on dire encore comme on le lit encore parfois dans la littérature homéopathique qu’il ne faut pas utiliser tel remède pour l’eczéma sous peine de voir arriver de l’asthme quelques années plus tard ?
Le Dr Farr effleure le problème complexe des relations entre homéopathie et psychanalyse et pose le problème des suppressions mentales, ceci en accord avec les conceptions psychanalytiques ; Elizabeth Wright lui répond à la fin de la discussion qu’elle pense que dans bien des cas notre thérapeutique homéopathique peut aider à lever ce genre de suppression. Il aurait été intéressant de considérer la part respective du remède et de la parole dans la recherche de la guérison, et de considérer dans quelle mesure l’emploi d’un remède gêne ou favorise l’emploi de la parole : s’il gêne, on pourrait l’assimiler à une suppression.
Auteur: Dr Elizabeth Wright
Publié à l'Homoeopathic Recorder, octobre 1929, pages 693-698.
Traduction et commentaires : Dr Philippe Colin
Source: http://www.homeophilo.fr/textes/Le.probleme.de.la.suppression.pdf
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