Le monde homœopathique est en plein bouleversement. En effet, depuis l'élan donné par Masi il y a quelques décennies, de nombreuses nouvelles façon de dénicher le simillimum ont fait leur apparition parallèllement à la méthode répertoriale kentiste.
A travers ces quelques lignes, le Dr Ph. Servais de Paris nous livre ses réflexions personnelles et lance le débat.
Pour situer dans son contexte historique la position doctrinale actuelle d'homéopathes classiques comme moi, issus du Kentisme (et dans la lignée de Pierre Schmidt), je repartirai des années 50-60 avec le docteur Paschero.
Celui-ci, influencé par la psychanalyse, a été le premier à remettre véritablement en cause la classification miasmatique traditionnelle (Hahnemann puis Allen etc.). Désireux d'enfin comprendre le patient dans sa dynamique de vie, il a formulé l'idée qu'il n'y avait pas trois miasmes figés et caractérisés par leur type de symptômes (et des malades figés dans leur miasme du moment) mais que chaque patient pouvait exprimer sa maladie ou son mal-être sous trois aspects dynamiques différents qui n'étaient que des expressions réactionnelles d'une même susceptibilité. En rejetant des images toute faites et fixées - comme une photographie - du patient (cf. les tableaux de Tyler), il introduisait, dans la clinique, une dimension vivante, dynamique et réelle, nécessaire à la compréhension du malade. (Comme le rappelle Marc Brunson, dans le passé déjà, Phatak avait permis une autre avancée conceptuelle : la maladie n'est pas exogène comme l'imaginait Hahnemann mais endogène).
A la suite de Paschero, le docteur Elizalde Masi va aller plus loin. Alors que son maître n'avait porté sa compréhension et son analyse nouvelle qu'essentiellement sur le patient, Masi - conscient du fondement même de l'homéopathie c'est-à-dire de l'analogie entre un individu et une substance - va extrapoler cette approche dynamique à l'étude des remèdes et aux remèdes eux-mêmes. Là va être son génie.
Cette compréhension nouvelle permettra à l'homéopathie de faire un énorme bond en avant. Ainsi donc, il n'y a pas trente types d'individus différents en fonction de remèdes constitutionnels qui leur correspondraient mais il y en a mille sinon un nombre infini ! De ce jour, l'homéopathie ne sera plus jamais la même. Beaucoup d'homéopathes contemporains, même parmi les plus illustres, ont inconsciemment intégré cette idée d'approche dynamique du patient et du remède et ne se rendent plus compte de ce qu'ils doivent au docteur Elizalde Masi sans qui leurs avancées actuelles n'auraient pu voir le jour.
Malheureusement, à chaque découverte son revers ! Comme le dit encore Marc Brunson, il y a la doctrine (utile à l'amélioration de la qualité de compréhension du patient et de la matière médicale et donc à la qualité de prescription : prescrire moins en prescrivant mieux) et il y a la méthodologie (techniques utiles pour faciliter le choix du remède). Et la tendance naturelle de tout chercheur consiste à vouloir, à un moment donné, trouver une grille de lecture efficace qui pourrait s'adapter ou se superposer aux connaissances acquises. L'important est alors de rester le plus proche possible du réel et d'avoir la grille la plus ouverte possible.
Et c'est là que nombre de collègues et moi-même, tout en ne remettant pas en cause les fondements de la pensée novatrice de Masi, allons prendre une certaine distance. En effet, il va imaginer et entreprendre, chapeautant ses remarquables études et approches des remèdes, dans un essai démiurgique d'appréhension du monde, une relecture théologique (inspirée par Thomas d'Aquin) de la matière médicale, rattrapé ainsi par la vieille tradition moraliste de l'homéopathie transmise par Hahnemann, Allen et Kent. Dans un remarquable et laborieux travail d'application de sa méthode, Marie-Luc Fayeton et, avec elle l'AFADH, va prendre la relève et pousser cette recherche au plus haut avec l'intention, in fine, de trouver, pour chaque remède et donc pour chaque patient, son ״attribut divin envié״.
Nous avons alors décroché face à ces hautes sphères de l'intellectualité (pour moi trop distantes de mon expérience clinique, de mon expérience de la vie et même de mon expérience spirituelle).
D'une certaine manière, deux tendances inconscientes ont toujours cohabité dans l'histoire de l'homéopathie : celle qui consiste à garde le cap d'une compréhension profonde de la vraie similitude et celle qui consiste à vouloir lui échapper pour réintégrer une pensée plus scientiste. Paschero et Masi ont ce mérite d'avoir remis cette règle de similitude au centre du débat.
A partir de 1987, nombre d'entre nous ont donc progressivement intégré une compréhension ״dynamique״ de l'homéopathie. Dès cette époque, grâce à une approche souvent multidisciplinaire, quelques groupes (essentiellement francophones) et, en particulier, pour ce qui me concerne, le GEHU, (parallèlement à ce qui se faisait à l'AFADH avec qui les rapports ont toujours été excellents), ont développé une recherche basée à la fois sur l'approfondissement de la matière médicale (relier par thèmes, en donnant du sens, les pièces éparses du puzzle), sur les cas cliniques révélateurs et sur l'essai de compréhension de la souche grâce à l'étude de la botanique, la minéralogie, la chimie, la symbolique, la tradition etc. A partir de ce substrat, nous nous sommes efforcés de confronter nos hypothèses à la réalité cliniques (approche inductive). Et c'est ce que nous continuons à faire. Tous, nous partageons et échangeons nos résultats. Le partenariat entre le GEHU et le CLH a toujours été particulièrement fructueux.
Si des homéopathes comme moi privilégient cette voie de recherche devenue aujourd'hui classique pour tenter de découvrir l'essence d'un remède, c'est qu'elle s'appuie sur le trépied : étude de la pathogénésie/étude de la substance/étude de la clinique. La méthode déductive pure nous apparaît nettement plus aléatoire.
Il en est de même pour l'approche du patient. Sans d'abord s'appuyer sur l'un ou l'autre symptôme pathogénétique (ou du moins sur des symptômes vérifiés par des résultats cliniques sérieux), si possible spécifique, il me paraît hasardeux de vouloir prescrire. Se contenter de faire rentrer le patient dans une grille de lecture classifiante (par définition théorique) et figée nous paraît insuffisant. C'est l'éternel mythe de Procuste !
A l'heure actuelle, notre impression est que, à vouloir coller au plus près à une nouvelle approche, d'ailleurs plus méthodologique que doctrinale (la vieille notion de diathèse remise au goût du jour : images fixes et non dynamiques de description du vivant) et dans un souci excessif de classification et de synthèse (qui peut, quelquefois, n'avoir pour but que de trouver une martingale), il y a danger de s'écarter à nouveau de cette notion de similitude. Là est notre inquiétude face à la nouvelle grille de lecture en vogue actuellement, celle entre autres de Rajan Sankaran. Celle-ci exprime un abord déductif et non inductif de la matière médicale : elle ne part pas du patient, de la clinique ni même de la spécificité d'une pathogénésie pour tenter de mieux comprendre un remède dans son essence mais d'un a priori théorique et classificateur. Le remède est alors prescrit ״mécaniquement״ à partir d'une démarche déductive, parfois d'ailleurs complexe.
Diverses techniques rationnalisantes et ״facilitantes״ pour trouver le remède ont ponctué l'histoire de l'homéopathie, celle de Rajan Sankaran nous paraissant en être le dernier avatar. Elles sont toutes sûrement occasionnellement utiles mais toutes ont leur limite.
Il est donc capital d'être avant tout conscient que l'outil utilisé … n'est qu'un outil et que pour la réussite d'une œuvre (en l'occurrence pour nous la guérison du patient), plusieurs outils seront sûrement nécessaires. Si tel est le cas, il n'y a plus de problème à balayer le champ des possibles. L'important est d'avoir toujours à l'esprit le paradigme qu'on utilise.
Ce qui peut distinguer l'homéopathe uniciste moderne dit classique de celui qui suit des voies plus ״New Age״ est la conviction du premier que la base de la pratique homéopathique est et doit rester ce qui en a été le critère fondateur à savoir la pathogénésie.
En pratique, il me paraît indispensable de continuer à approfondir la connaissance des remèdes dans leur essence et, pour ce faire, de poursuivre les recherches entreprises. Il est également indispensable d'apprendre à toujours mieux comprendre le patient, non seulement dans sa souffrance et sa maladie mais aussi dans sa dynamique de vie ce qui inclut pour moi son histoire propre.
Je me suis attaché, depuis quelques années, - je parle ici en mon nom propre - à développer, en consultation, l'étude de la biographie du patient dans laquelle, je l'observe, l'essence même du simillimum se trouve enfouie. Je me suis ainsi attaché à substituer à la simple idée d'un patient porteur d'une certaine spécificité l'idée d'un véritable personnage singulier à découvrir, pleinement participant à la grande comédie humaine. Aussi ai-je été surnommé le sagaïste de la bande !
Contrairement à certaines approches plus structurées et systématiques du malade, la mienne, peut-être moins transmissible, est essentiellement plus intuitive et globale, faite surtout d'imprégnation du ressenti du patient et de son histoire, à la recherche du symptôme ״qui parle״.
Et, s'il faut se définir, je me présenterais volontiers comme un ex-Kentiste, disciple défroqué de Masi, vieux souchiste avant la lettre et jeune sagaïste encore incompris !
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En début 2002, dans le cadre d'une journée de ״Rencontres״ de l'INHF, j'ai présenté une douzaine d'histoires cliniques, chacune représentative d'un remède et d'un profil de patient. Relisant cette conférence aujourd'hui, quatre ans après, je m'aperçois que tous les cas ont tenu avec le même remède … sauf un qui, hélas, ״s'est cassé la gueule״ en 2003, soit l'année qui a suivi la conférence. Et, bien sûr, vexation suprême pour un homéopathe, il s'agit du remède le plus rare de ceux présentés ! Exit le cas d'Hecla lava, seul cas au monde jamais exposé de ce remède ! Est-ce à dire que sa présentation en était nulle et non avenue ? Non, mais il ne s'agissait que d'un excellent simile et, par conséquent, la compréhension que j'avais pu en tirer du personnage rejoint l'océan des fausses découvertes ! Et pourtant, il me semblait bien que …
J'ai essayé de comprendre mon erreur et j'ai fini par trouver ! Emporté par mon enthousiasme d'avoir ״sorti״ un cas de remède rare, j'ai manqué de discernement et suis tombé dans le piège, tant de fois décrié par moi-même, celui de confondre similitude de signifiants et identité d'objet. Ce patient m'avait mis sur la piste en me disant qu'un de ses rêves récurrents le plus habituel était de rêver d'éruption volcanique. Comme, tout en lui, autant ses symptômes que sa vie, évoquait un volcan, j'ai sauté sur le seul remède connu issu d'un volcan. Ce remède a ״tenu״ deux ans pour, ensuite, brutalement, ne plus avoir aucun effet. On peut donc considérer qu'il s'agit d'un cas intéressant. Mais, malheureusement, il ne nous apporte pas ce qu'on peut souhaiter de ce genre de cas où un remède rare est utilisé : une compréhension de l'essence d'un nouveau remède.
Etait-il prévisible que cela se passe ainsi ? Tout à fait. Pourquoi ? Pour deux raisons. La première est que je ne me suis pas appuyé sur un symptôme pathogénétique, la seconde est que je ne me suis pas appuyé non plus sur l'idiosyncrasie de la souche. Cette considération simpliste qui consiste à penser ״il me fait penser à un volcan, donc je vais lui prescrire du volcan ״ n'a rien d'une démarche homéopathique et est plutôt d'inspiration ״paracelsique״ (la doctrine des signatures). Ce que je veux affirmer simplement, c'est qu'il était logique que ce remède ainsi prescrit ne se présente pas à terme comme véritable simillimum.
Qu'est ce qui est caractéristique d'Hecla lava ? Probablement sa nature volcanique. Mais quelle en est l'idiosyncrasie, la spécificité ? Sûrement pas sa nature volcanique ! Si nous expérimentions une série de pierres de volcan, il est probable que nous retrouverions, dans les pathogénésies, des symptômes évoquant Vulcain. Mais nous ne serions pas encore là dans la véritable homéopathicité. La question à poser devrait être : qu'est-ce qui fait que cette substance est différente de toutes les autres et tout particulièrement des autres laves de volcan. Quelle en est sa nature intime ? Le seul et unique moyen de le savoir est de passer par son expérimentation sur l'homme sain, ce qui, à ma connaissance, n'a pas encore été fait très sérieusement. Nous serons sûrement surpris de découvrir un univers très personnel et subtil, à côté de symptômes bien sûr très ״minéraux״ et très ״volcaniques״.
Si nous suivons les voies de certains homéopathes ״new age״, nous pouvons par contre trouver dans la littérature des cas d'Hecla lava comme celui-ci (RS) que j'ai découvert sur l'Encyclopedia.
Il s'agit d'un homme atteint de sinusite qui ressent sur le sinus une pression vers l'extérieur lui donnant l'envie d'exercer dessus une pression contraire. Il ressent dans ce sinus une grande chaleur avec l'impression que cela pourrait exploser et il a évidemment l'envie d'éjecter brutalement cette inflammation. Il a donc véritablement une sensation de ״volcan״. En outre, dans sa vie, il éprouve aussi cette sensation de ״pression״ du milieu comme beaucoup d'entre nous. Il se dit trop impulsif, se contrôlant difficilement (impulsion d'achat). Et, comme beaucoup d'entre nous, il a ressenti dans son enfance la ״pression terrible de ses parents״. Et voilà, vite fait, un nouveau cas Hecla lava !
Et si, dans la même veine que ces fantaisies nouvelles, nous extrapolions, la matière médicale d'une autre lave, Vesuvio lava par exemple, que pourrions-nous imaginer ? A côté des sensations de pression, d'explosion auxquelles on ne pourrait sûrement pas échapper, je verrais bien des symptômes du genre ״tout geste du quotidien est ressenti comme pouvant être le dernier״ ou ״impression que le ciel peut lui tomber sur la tête à tout instant״ ou encore ״brutale sensation de brûlure partant des pieds pour ensuite remonter vers la tête״ ! Un nouveau remède est né dont il n'est même plus nécessaire de faire la pathogénésie !
Je me souviens avoir entendu décrire un nouveau remède à la mode, Lac delphinium, d'une telle manière que mon ami Yves Maillé, à côté de moi, me fit cette très juste réflexion : ״on dirait un inventaire de tous les poncifs qui ont cours sur les dauphins dans les documentaires pour enfants״. S'agissait-il vraiment d'un compte-rendu de proving réalisé avec sérieux ? J'en doute !
Dans la même inspiration orientale, n'ai-je pas entendu parler de l'utilisation de la pierre du mur de Berlin comme remède ! Et qu'en était-il dit ? Que, "pour ce remède ״Mur de Berlin״, la matière contient le concept de séparation" !!! (Sic)
Arrêtons ces délires, au risque de donner raison à nos détracteurs. Ne nous laissons pas aller à ces facilités ! Arrêtons de chercher désespérément des méthodes simplificatrices pour prescrire plus aisément ! L'histoire de l'homéopathie est ainsi jalonnée de recherches désespérées de martingales ! Aucune n'a tenu avec le temps.
Emporté par son enthousiasme lié à des résultats cliniques prometteurs, dans les années quatre-vingt dix, Masi avait un moment laissé entendre que, pour la connaissance d'un remède, la clinique sans pathogénésie pouvait quelquefois suffire. Il a très rapidement compris le danger de ce genre de proposition. En effet, mal comprise elle pouvait laisser entendre que, dorénavant, les provings devenaient inutiles. Or, avoir un bon résultat clinique avec une substance dynamisée ne signifie pas faire de l'homéopathie.
Il y a essentiellement deux méthodes pour faire avancer la connaissance de la matière médicale.
1/ La première, traditionnelle, consiste à faire une expérimentation fouillée de la substance, d'en relever tous les symptômes y compris et surtout les plus frappants, les plus spécifiques. A partir de cette pathogénésie et de sa mise en répertoire, le praticien va pouvoir prescrire. La réussite de cas cliniques va permettre d'amplifier la compréhension du remède et de confirmer les symptômes pathogénétiques.
2/ La deuxième consiste, à partir de bribes de pathogénésies, de cas cliniques sauvages réussis ou encore, pourquoi pas, d'une intuition, d'extrapoler une hypothèse de compréhension de la substance et d'essayer de la prescrire pour voir si cette hypothèse se vérifie. En cas de réussite de plusieurs cas abordés selon cette compréhension et seulement à cette condition, l'hypothèse se transforme en proposition sérieuse. C'est ce que l'on appelle faire une induction c'est-à-dire une opération mentale consistant à remonter des faits à la loi, à remonter de cas donnés singuliers à une proposition plus générale. Il s'agit alors d'une proposition porteuse d'une vérité potentielle. Un exemple extrême : ce cas d'Acer negundo que m'a envoyé Marie-Luc Fayeton. Passionnant mais hasardeux ! A partir de quatre symptômes banals, peu valorisés, elle tombe sur Acer circinatus ! Comme ce remède n'existe pas en pharmacie, elle donne Acer negundo (avec l'idée que le patient exprime beaucoup le thème de la beauté et que la plante Acer negundo est plus belle qu'Acer circinatus !). Prescription audacieuse s'il en est ! Pourquoi pas ! En exergue de ce cas qui n'a que quelques mois de recul, elle écrit : ״Il voit et mémorise tout ce qui se passe autour de lui mais ne voit pas ce qu'il fait״. Il ne s'agit ici que d'une pure hypothèse de compréhension de ce remède inconnu, une piste éventuelle qui demande confirmation.
3/ Il existe, dans le monde homéopathique actuel, une troisième méthode, nouvelle. Elle consiste à employer systématiquement, hors pathogénésie ou expérience clinique, le mode déductif pour tenter d'approcher un remède encore inconnu. (Rappelons que la déduction est un procédé de pensée par lequel on conclut d'une ou de plusieurs propositions données à une proposition qui en résulte, en vertu de règles logiques. On s'appuie alors sur une construction intellectuelle purement logique pour en déduire les vertus d'une substance). On s'appuie alors sur une construction intellectuelle purement logique pour en déduire les vertus d'une substance. C'est la méthode utilisée par les adeptes du tableau de Mendeleïev. Pourquoi pas ! Mais, comme précédemment, les remèdes ainsi découverts n'auront ״valeur homéopathique״ qu'après confirmation des hypothèses proposées par une pathogénésie ou au moins par plusieurs cas cliniques réussis. Le danger de répandre et de généraliser une telle méthode est de faire croire aux homéopathes sans expérience que le raisonnement logique (sans recherche des symptômes spécifiques au patient) peut être une source fiable et sûre de prescription, alors qu'il ne s'agit que d'une pure proposition de technique expérimentale de recherche avancée pour homéopathes confirmés possédant parfaitement la connaissance de la matière médicale classique ! Si cette méthode de recherche, en soi, ne me dérange pas, je m'inscris en faux contre son utilisation généralisée en pratique clinique et plus encore dans l'enseignement.
Autre méthode déductive, celle appliquée au monde végétal. Là, bien plus que pour le monde minéral avec le tableau de Mendeleïev (qui a le mérite d'une classification scientifique rigoureuse, vérifiée au fil des décennies), l'aléatoire me paraît être la règle. Vu ce que l'on sait de la classification morphologique des plantes, les prémisses utilisées (regroupement par famille) me paraissent très approximatives et l'abord déductif par conséquent peu fondé.
Autre méthode déductive encore, celle qui consiste à imaginer la spécificité d'un composé minéral à partir de la connaissance qu'on a (ou qu'on croit avoir) des deux éléments simples qui le forment. Tout homéopathe expérimenté a un jour, devant un patient légèrement amélioré par Sulfur et par Calcarea, tenté de lui prescrire Calcarea sulfurica ! La plupart du temps, ce raisonnement ne donne hélas pas de résultat, ce qui est logique puisque le composé a lui-même sa propre idiosyncrasie qui ne se résume pas à la pure juxtaposition des deux éléments qui le structurent. Par cette méthode, on en arrive malheureusement (les légendes deviennent vite des vérités dans le monde homéopathique !) à des descriptions de remèdes totalement fantaisistes. Ajoutons que ceux qui ont lancé cette mode semblent en outre très mal connaître leurs bases de matière médicale ! Ainsi, Jan Scholten attribue-t-il au radical ״nitric״ ou ״kali״ des vertus pour le moins étonnantes, bien éloignées de la réalité clinique. Les prémisses ici sont non plus seulement aléatoires mais carrément fausses !
Nous avons à notre disposition une science merveilleuse dont le fondement est sa méthode expérimentale originale. Nous avons parallèlement toute la richesse de notre clinique, pour peu que nous restions rigoureux dans notre pratique. Confrontant inlassablement ces expérimentations avec cette clinique, nous continuons tous les jours à découvrir d'autres horizons, des champs inexploités, des remèdes nouveaux ou oubliés. Partant toujours de ces pathogénésies et de cette clinique, nous forgeons des hypothèses nouvelles sur certains d'entre eux que nous confrontons inlassablement à la réalité de notre pratique. Ainsi pouvons-nous confirmer ou infirmer certaines pistes de compréhension. Et il s'avère que nous parvenons quelquefois, par cette voie rigoureuse, à élargir nos connaissances pour le plus grand bien des patients.
Laissons à d'autres divagations et vaticinations !
Mais alors, si nous nous refusons aux dérives présomptueuses qui ont parfois pour but d'asseoir une réputation de prescripteur hors-pair, de fine lame ordonnancière face aux collègues subjugués, ne nous faut-il pas d'autant plus sérieusement et scrupuleusement analyser le résultat réel de nos prescriptions face à nos malades ? Dans notre clientèle, nous nous retrouvons le plus souvent confrontés à des maux chroniques divers et variés. Sans même parler de maladies chroniques bien définies, nous avons à prendre en charge des organismes fonctionnant de travers, cahin-caha. Nous avons la nécessité d'abord de faire le relevé précis de tous ces dysfonctionnements. Les âmes étant aussi en peine, nous avons également à en relever les plaintes. Pourquoi cet état des lieux préalable, précis et exhaustif, si ce n'est pour définir, avec le patient, la hauteur du projet de guérison et, par voie de conséquence, l'intention que nous, praticien, allons mettre dans notre prescription ? Si ce n'est également pour, après traitement, pouvoir juger objectivement des améliorations ou guérisons obtenues et ne pas considérer comme guérison ce qui ne l'est pas ?
En d'autres termes, à la fin d'une consultation et lors de la prescription, nous devons nous poser la question : qu'est-ce que j'attends du remède donné ? Nous connaissons, pour l'avoir tous vécu, les possibilités parfois incroyables de l'homéopathie. Il nous faut donc définir le cadre du possible, en mettant bien sûr la barre au plus haut. Nous savons pouvoir guérir une polyarthrite rhumatoïde ou un lupus, nous savons pouvoir aider nos patients à transformer leur vie en les allégeant du poids de la peur et de l'angoisse. Mais de là à nous affubler des atours de demi-dieu comme des homéopathes ont pu le faire, il y a de la marge ! Certains en effet ont quelquefois dépassé cette limite. Fréquentant depuis des lunes le monde homéopathique, j'ai vu courir les idées les plus folles, qui ont, hélas parfois, causé à leurs auteurs de sérieux ennuis et fait courir à l'homéopathie les plus grands dangers par accusation de pratique sectaire. J'ai également vu des confrères, impressionnés par l'idéalisme extrême de certaines doctrines, ne plus oser prescrire quoi que ce soit par crainte de faire une suppression ! Suppression signifiant alors enfer et damnation. Imaginez ! Bien prescrire c'est-à-dire prescrire le fin du fin du simillimum, ce serait permettre au patient de se réconcilier avec Dieu et, accessoirement, … de guérir de ses maux ! Hors cette prescription magistrale, point de salut !
Mon intention, par ces quelques réflexions à bâtons rompus, est de vous enjoindre à garder, en bon praticien, les pieds sur terre. En effet, par sa nature même, subtile, l'homéopathie pourrait facilement nous faire glisser vers ces horizons neptuniens où la raison n'a plus cours.
Ne soyons - et cette remarque s'adresse tant à moi qu'à vous tous - ni trop présomptueux dans l'exercice de notre art (de façon ou innocente ou triomphante) ni trop fanatique (le fanatisme se situant, en ce qui nous concerne, dans l'au-delà de la rigueur) !
Auteur: Dr Philippe Servais, 2006.
Publié sur le portail Homeobel le 25 Décembre 2008.
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