Traçons brièvement un schéma de l'évolution historique de la matière
médicale.
Nous pouvons distinguer clairement plusieurs temps successifs dans son
élaboration. Et à ce propos, que l’on parle de la matière médicale dans son
ensemble et de ses deux siècles d’existence ou d’un remède en particulier, nous
pouvons écrire deux histoires totalement superposables. Nous n’en écrirons
qu’une et ferons d’une pierre deux coups.
Avertissement : ce texte est un court passage du tome 3 de philosophie
homéopathique que j'ai publié en 2011.
Ceci me permettra de vous donner mon avis sur les nouvelles tendances
actuelles de l'homéopathie et de justifier ma position en me servant de ma connaissance
historique de la philosophie homéopathique et de ses deux siècles d'histoire.
Traçons brièvement un schéma de l'évolution historique de la matière
médicale.
Nous pouvons distinguer clairement plusieurs temps successifs dans son
élaboration. Et à ce propos, que l’on parle de la matière médicale dans son
ensemble et de ses deux siècles d’existence ou d’un remède en particulier, nous
pouvons écrire deux histoires totalement superposables. Nous n’en écrirons
qu’une et ferons d’une pierre deux coups.
• Le premier
temps, bien entendu, est l’expérimentation du remède.
• Ce premier temps est immédiatement suivi, est-il besoin de le
préciser, d’un second : ranger
et publier le matériau ainsi obtenu.
Pas d’expérimentation, pas de matière médicale donc pas
d’homéopathie ! Affirmation péremptoire concernant une situation que l’on
souhaiterait idéale mais la réalité est tout autre ! Parmi les entorses à
cet idéal, des positives et d’autres qui le sont moins ! Dans les
premières, un exemple concret, très connu : Carcinosinum, enfant naturel
de l’unicisme né du seul usage clinique … et dans les secondes, la vedette
incontestée des labos : Oscillococcinum[1] !
Entre ces deux poids lourds, une kyrielle de remèdes ayant obtenu leur place
dans la matière médicale par la petite porte soit par le biais de l’usage
clinique soit par celui de la seule toxicologie. Exemples … Bellis perennis et
Symphytum, pour n’en citer qu’un ou deux.
• L’incorporation répertoriale constitue le troisième
temps important dans la vie d’un remède. Mais le plus
souvent, son importance est ignorée tant cette phase nous paraît évidente. Intégrer un remède dans
un répertoire, c’est le rendre utilisable !
Voici un des points, souvent ignoré qui, aujourd’hui, disqualifie à
coup sûr la méthode Boenninghausen. En effet, tous les nouveaux remèdes
expérimentés sont naturellement incorporés dans les répertoires “kentistes”,
ceux de deuxième génération, les produits dérivés du Kent[2].
Ils ne le sont pas dans les répertoires de première génération (c'est-à-dire
dérivés du répertoire de Von Boenninghausen). Peut-être dans celui de
Dimitriadis mais jusqu’à présent, la diffusion et l’usage de ce dernier ouvrage
semblent rester confidentiels.
Aussi valable, aussi complète, son expérimentation soit-elle, un remède
ne sera utilisé que s’il fait l’objet d’une intégration répertoriale sérieuse.
Deux superbes exemples sont là pour étayer mon propos : Samarskite,
expérimenté par Boger en 1934, un an à peine avant sa mort, une vingtaine de
pages de symptômes, jamais intégré, jamais prescrit[3] ;
Tungstène expérimenté en 1997 par une équipe anglaise et personne ne connaît
son existence malgré un opuscule de plusieurs dizaines de pages !
• Le temps
suivant est le temps de la compilation … démarche qualifiée par son caractère exhaustif … le plus grand nombre
possible de remèdes … et pour chacun d’eux, le plus grand nombre possible de
symptômes. Les porte-drapeaux de ce temps de
compilation : hier, Allen (Encyclopedia of materia medica), Hering
(Guiding symptoms of our materia medica), Clarke (Dictionnary of practical
materia medica) et aujourd’hui, Vithoulkas (Materia medica viva) et, dans une
moindre mesure, Vermeulen (Concordant materia medica) pour le support papier.
Mais le support informatique va plus que probablement mettre celui-ci
partiellement hors jeu dans les décennies à venir. Ce temps de compilation
réalise la mise à disposition du matériau. Compiler, c’est rendre disponible !
• Ensuite vient le temps de la synthèse imposée par les limites de la mémoire humaine et basée jusqu’à présent
sur les symptômes
caractérisants de la matière médicale c'est-à-dire
ceux, physiques ou mentaux, rencontrés le plus fréquemment en clinique donc les
plus fiables. Nous pouvons citer ici de nombreux exemples : Boericke, Lippe,
Tyler, Vithoulkas (Essence), Lathoud, Vannier, etc. La liste n’est pas
exhaustive[4].
Et cette fiabilité est symbolisée le plus souvent, par une mise en relief typographique du matériau en relation directe avec le degré jusqu’ici utilisé dans
nos répertoires : le degré de fiabilité de présence du remède dans la
rubrique. Synthétiser,
c’est rendre accessible ! Notez qu’il s’agit déjà d’une forme de relecture du matériau.
• Le sixième et dernier temps est le temps des relectures. Celles-ci sont multiples.
Tâchons de dresser un état des lieux en ce début de 21e
siècle.
Si nous les analysons, nous distinguerons aisément celles dont le but
est de faciliter
la tâche de l’homéopathe et celles, par contre, dont
l’objectif est d’améliorer encore et encore la
qualité de la prescription.
Parmi celles qui visent à rendre notre travail moins malaisé, nous
venons à l’instant d’évoquer les relectures synthétisantes. Leur but :
rendre le matériau accessible en installant un filtre reposant sur la fiabilité
des symptômes.
Mais, outre synthétiser, il existe, pour certains homéopathes, une
autre façon de poursuivre cet objectif :
il s’agit, pour eux, de classifier la matière médicale. Initiative moins
heureuse, me semble-t-il.
Avant de poursuivre notre analyse, notons toutefois que rechercher la facilité peut se faire dans deux directions différentes : ou rendre le choix du remède à prescrire moins difficile, ou rendre la mémorisation de la matière médicale moins fastidieuse. Les deux ne sont d’ailleurs pas
incompatibles ! Et cela dans le but immédiat de diminuer le nombre
d’échecs mais sans tenir compte, malheureusement, de la profondeur et de la
pérennité des résultats obtenus.
Parmi les relectures
classifiantes, nous pouvons distinguer les individuelles et les collectives.
Je classe dans la catégorie “individuelles”, toutes celles où la relecture d’un
remède se suffit à elle seule, où elle constitue en
soi un travail complet. Elles ne rendent pas obligatoire la relecture d’un
deuxième remède pour être utilisable, même si c’est l’ensemble des relectures qui fait
l’intérêt du travail. Ces relectures continuent à
mettre en évidence ce qui individualise le remède mais dans l’optique cette
fois-ci d’obtenir
une classification de l’ensemble de la matière médicale. Parmi elles, celles de Woodward et
de Hodiamont ou encore de Kollitsch sont les plus représentatives.
Hodiamont revisite la matière médicale à la lumière de la physiologie
et de la toxicologie du troisième quart du vingtième siècle. A travers ce
filtre, il la classifie. Son unique but est de rendre la matière médicale plus
facilement mémorisable. Il n’y ajoute pas un iota ; il éclaire le contenu de
façon particulière tout en le respectant.
La relecture de Woodward, basée sur la recherche de la chronologie
d’atteinte des fonctions, tente, quant à elle, de faciliter la découverte du
simillimum en neutralisant le caractère subjectif de la valorisation des
symptômes.
Et je classe parmi les “collectives”, celles où il est obligatoire
d’avoir relu un certain nombre de remèdes pour retirer un intérêt du travail.
Ici, la
relecture d’un remède isolé ne se suffit plus. Ces
relectures ne cherchent plus ce qui individualise le remède lui-même mais ce qui caractérise le
groupe qui le contient c'est-à-dire ce qui est commun
aux différents remèdes qui appartiennent au groupe. Et cela, afin de distinguer
chaque groupe soit des autres groupes soit de l’ensemble de la matière
médicale. Voilà pourquoi je qualifie ces relectures de collectives.
La notion de groupe peut varier très fort. Le groupe peut avoir son
importance par lui seul : les acides, les venins, les drogues, … Ou le
groupe peut acquérir son utilité par son “intersection” avec un autre
groupe : les préfixes et les suffixes des doubles sels, les lignes et les
colonnes du tableau de Mendeleïev. Ou le groupe peut implicitement revendiquer
une place particulière dans un système qui prétend, tout aussi implicitement,
embrasser la totalité de la matière médicale. Prétention tout à fait
utopique d’ailleurs !
Citons les auteurs actuels les plus connus partisans de cette façon de
classifier : Lou Klein, Massimo Mangialavori, Jan Scholten, et Rajan
Sankaran.
Quant à ces relectures, elles ont toutes ceci en commun qu’elles ont
classifié les remèdes pour tenter d’en faciliter la prescription. Leur notoriété
est proportionnelle à l’étendue du champ qu’elles embrassent. Aussi Scholten et
Sankaran sont-ils les plus intéressants à étudier.
Aucune de ces relectures ne prétend à l’amélioration qualitative de
l’action du remède prescrit. Sauf peut-être celle de Sankaran ! L’intérêt
de ce dernier pour ce qu’il nomme la “sensation vitale” du patient pourrait
nous porter à le croire mais sa non-prise en compte du facteur temps lui fait
alors manquer totalement cet objectif.
Ces relectures collectives modifient fondamentalement la façon de
rechercher le simillimum. Il ne s’agit plus, comme l’avait défini Hahnemann, de
rechercher la similitude entre la symptomatologie d’un malade et la
symptomatologie d’un remède. Il ne s’agit plus non plus d’individualiser la
connaissance de chaque remède jusqu’à son point le plus ultime. Il s’agit
d’organiser l’ensemble de la matière médicale, d’y tracer, d’une façon ou d’une
autre (quadrillage, arborescence … peu importe!), une cartographie qui doit amener le praticien à découvrir plus facilement le
simillimum.
Ni l’une ni l’autre de ces relectures ne semblent accorder d’importance
au facteur temps. Ni à l’historicité des symptômes du patient pour les
valoriser ni surtout à la pérennité des résultats obtenus par leurs méthodes de
prescription. L’absence totale de prise en compte de ce dernier élément me
paraît très dommageable, rédhibitoire même parce que contraire à l’objectif
clair défini par Hahnemann dans ses “maladies chroniques”. Effets
collatéraux négatifs de ces démarches, en même temps qu’elles rendent inutiles
la mémorisation de la matière médicale, qu’elles l’escamotent même carrément,
elles mettent toutes deux à la disposition du prescripteur, de façon
systématique et par extrapolation, un nombre important de produits n’ayant fait
l’objet d’aucune expérimentation. Elles s’excluent dès lors du champ de
l’homéopathie. Mais elles continuent, exactement pour ces deux mêmes raisons
d’ailleurs – mémorisation inutile et arsenal thérapeutique étendu –, à séduire
de nombreux praticiens. Façon aussi perverse que silencieuse de mettre
l’homéopathie en péril. Elles présentent un autre vice rédhibitoire
supplémentaire car elles invitent le praticien à extrapoler aux petits remèdes
du groupe, les symptômes caractéristiques du remède principal de ce même
groupe. Ainsi, un auteur connu a-t-il ajouté tous les serpents dans la rubrique
“forsaken feeling” juste parce que Lachesis possédait ce symptôme à un haut
degré. Et c'est le même raisonnement qui en a poussé un autre à incorporer tous
les sels de zinc dans la rubrique “vaccination after”.
Ces relecteurs n'ont pas reformulé les objectifs conceptuels
d'Hahnemann, ils les ont carrément redéfinis sans même en avoir conscience,
semble-t-il..
Et puis, il y a les relectures qui veulent au contraire améliorer la qualité de
la prescription – il s’agit des relectures
spécifiantes
masistes puis souchistes. Elles prétendent plus ou
moins implicitement que la diminution du nombre d’échecs est un effet
collatéral positif de cette recherche de résultats plus profonds donc plus
durables. Elles savent, de surcroît, qu’elles rendent la mémorisation de la
matière médicale plus facile parce qu’elles apportent une cohérence certaine à
l’histoire de chaque remède.
Ici, il s'agit d'une reformulation
et non d'une redéfinition des objectifs hahnemanniens.
Quel est le principe de la relecture
spécifiante ?
Avant Masi, voici comment nous
pouvions schématiser le contenu symptomatique de la matière médicale d’un
remède:
L’amas de symptômes se transforme alors, non seulement en une histoire
cohérente plus facile à mémoriser,
mais surtout en une
espèce d’édifice hiérarchisé, le plus subtil en haut, le moins subtil en bas.
Après cette relecture, chaque remède peut être dès lors être schématisé par un cône ; dans ce cône, tous les
symptômes du remède vont être reclassés suivant la relation plus ou moins proche qu’ils ont avec la problématique dégagée
par la relecture ;
les plus proches en haut et à l’inverse, les plus éloignés en bas. À ce moment,
seuls, les symptômes mentaux du remède ont fait l’objet de cette nouvelle façon
de relire les remèdes.
Voilà l’état
conceptuel en lequel Masi a laissé les choses. À quelqu'un d’autre de continuer
…
Reprenant l’idée géniale de Masi et
remplaçant le filtre thomiste par l’individualisation de la souche, j’ai permis l’incorporation, jusque là difficile voire impossible, de
toute la symptomatologie physique dans la relecture spécifiante. Ce faisant, j'ai concrétisé l'idée de
Ghatak prétendant qu'un lien, aussi étroit qu'indissoluble, existe entre le
mental et le physique.
Ensuite, j’ai pensé à couper ce cône en tranches
horizontales, c'est-à-dire à attribuer à chaque symptôme, un degré de spécificité et à concevoir dès lors un
répertoire de troisième génération. Il s’agit tout simplement, de réaliser
la modélisation mathématique de l’expression nouvelle de la matière médicale
née de cette relecture.
Notez bien que cette relecture ne provoque pas la disparition du degré de
fiabilité. Vous pouvez, sur le schéma, les voir, répartis au hasard, dans les
cinq “tranches” du cône. Elle vient seulement y adjoindre un degré de
spécificité. Au passage, vous remarquerez le cône situé à droite sur le schéma
où les chapitres sont représentés en pointillé.
Vous venez de le voir, tracer l’histoire
de la matière médicale dans son ensemble, ou tracer l’histoire d’un remède en
particulier, son évolution depuis sa première expérimentation jusqu’à sa
relecture spécifiante, c’est en fait raconter deux histoires presque
identiques.
[1] Dans le monde francophone du moins !
[2] Reportez-vous à nouveau au chapitre “Etude de l’outil répertorial,
passé, présent, avenir”.
[3] Il fut, en son temps, intégré par Boger
dans son propre répertoire “Boenninghausen’s characteristics and repertory” datant de 1905 mais déjà
surclassé en 1934 par le répertoire de Kent ; il ne le fut jamais dans le “Kent”
ni dans les répertoires qui en sont dérivés.
[4] Un autre chapitre développe plus avant ce sujet des matières médicales
synthétiques ; il est intitulé “Les drug pictures”.
Auteur: Marc Brunson, vet. homéopath.
Avertissement: ce texte est un court passage du tome 3 de philosophie homéopathique que j'ai publié en 2011.
Présenté au V Congreso Nacional de Homeopatía, Oviedo (Asturias. España), 2012.