L’ouverture d’esprit du monde homéopathique : une chance mais jusqu’où ?
Je sens que cet article va me valoir de durables inimitiés, voire me faire passer pour intolérant. Mais je crois qu’on ne peut pas toujours mâché ses mots. Je manque, peut être, d’ouverture d’esprit. Cela fera une moyenne avec un certain nombre de collègues qui l’on un peu trop grande, l’ouverture d’esprit !
Le discours des masistes me pose, en effet, problème depuis fort longtemps. Toutes ces références à Dieu, à Thomas d’Aquin, ses mots de « Béatitude », de châtiment, d’attribut divin envié, etc. me paraissent complètement déplacés dans le registre de l'homéopathie. De plus, la façon qu’ont les masistes d’y insister, de le mettre en avant en disant que cette façon de voir n’est pas obligatoire, mais que cela leur semble s’imposer, que ce sont, pour ainsi dire, des données de l’observation, m’insupporte.
Comme m’insupporte la complaisance d’une bonne partie du monde homéopathique à l’égard d’un tel discours, même si, les mêmes, en général, vont dire, « en privé », qu’ils trouvent ce verbiage inutile et gênant. Mais, par ouverture d’esprit, pensent-ils, par tolérance et, hélas, parfois par pragmatisme (« les masistes avancent quand même des choses intéressantes en pratique alors ils peuvent bien dire ce qu’ils veulent comme ils le veulent »), on laisse un discours malsain et, surtout, complètement faux se développer et prétendre à la vérité.
Mais comment peut-on tolérer, dans le monde homéopathique, un tel charabia et un tel dogmatisme?
Je me le demande vraiment et cela ne cesse de m’ étonner. Je n’ai rien contre les masistes en tant qu’individus mais leur discours est inadmissible et leurs thèses irrecevables. De plus, l'homéopathie risque de se mordre les doigts, un jour, d’avoir laissé proféré tant d’âneries sans mot dire. Je ne vois donc pour expliquer la complaisance dont témoigne un certain monde homéopathique envers le masisme que :
-le relativisme de l’époque (« « il est interdit d’interdire », « il faut respecter les opinions de chacun », etc.).
- la paresse intellectuelle.
- l’assurance de pouvoir, en retour, dire soi même n’importe quoi.
Chacun aurait, ainsi, le droit d’y aller de sa théorie et de sa conception sans jamais avoir à rendre des comptes à qui que ce soit.
Examinons les « arguments » que les masistes invoquent pour justifier leur démarche. Deux arguments sont, sans cesse, mis en avant : s’inscrire dans la droite ligne d’Hahnemann qui, selon Masi, insistait sur la fin spirituelle de l’homme. Ensuite, examiner objectivement les faits, observation qui mènerait nécessairement à la position masiste. Je m’appuie, ici, entre autres, sue les propos de Masi donnés dans une interview à la Revue Belge d’Homéopathie (n° 3, année 2004). Voyons cela.
L’imposture de l’invocation de la fidélité à Hahnemann :
Tout d’abord, première remarque, même si Hahnemann avait dit que explicitement ce que dit Masi, cela ne dispenserait aucun d’entre nous d’exercer son esprit critique et son droit d’inventaire. Le contraire serait un recours à l’argument d’autorité et ceci est irrecevable. L'homéopathie n’est pas une religion révélée et Hahnemann n’est pas son prophète.
Ceci étant dit, la mauvaise foi, la manipulation de Masi est quand même massive. Il amalgame le rétablissement de la santé, seule chose dont
ait parlé Hahnemann, qui permettrait à l’être humain de se consacrer à sa plus haute fin, la spiritualité, et la nécessité de concevoir la santé et la maladie selon des considérations théologiques.
De plus, Masi semble oublier deux ou trois point s concernant Hahnemann :
- Que celui-ci était protestant. Or toute la démarche masiste s’appuie sur le discours de Thomas d’Aquin qui n’est autre que le théologien officiel de l’Eglise catholique.
- Qu’il était, également, franc-maçon, ce qui est un petit peu gênant pour quelqu’un qui, selon Masi, aurait donnée, comme finalité à son entreprise, l’adoration de Dieu (celui des catholiques, bien évidemment)..
- En fait, Hahnemann était manifestement assez peu religieux pour son époque, voire plus ou moins agnostique, en tout cas d’une religiosité toute tempérée et non dogmatique.
Rappelons qu’à l’époque, rares étaient ceux qui ne citaient pas, par principe et habitude, voire prudence, l’idée de Dieu dans leurs écrits (en passant). Aussi passer d’une vague allusion d’Hahnemann, dans un livre de plusieurs centaines de pages, à l’affirmation de Masi que la fin de l’homme, serait de «se rapprocher du grand esprit qu’adorent les habitants de tous les systèmes solaires» frise l’hallucination et le délire d’interprétation !
Illégitimité du primat donné à une vision religieuse en médecine :
D’où les masistes tiennent ils l’idée qu’il convient de donner une primauté au religieux en médecine ? Tout simplement,, parce qu’ils estiment, selon leur propre croyance, que le religieux doit tout imprégner et tout dominer. C’est leur droit, en tant que personnes privées de le penser, il est irrecevable d’en faire un fait brut comme si cela allait de soi pour tout un chacun.
Leur discours officiel est autre. Si on les écoute, cette conclusion s’est imposée d’elle même. Masi n’hésite ainsi pas à dire : « Je n’avais donc aucune idée préconçue ; religion et homéopathie étaient matières à être considérées minutieusement, sérieusement ; ce que je fis ». Et il prétend avoir été, logiquement, et quasi-inévitablement, mené « à la conclusion qu’Hahnemann n’était rien d’autre qu’un thomiste spécialisé en médecine ou, dit autrement, que l'homéopathie était la vision thomiste de la médecine ». Hélas, pas un mot, sur ce qui l’a mené à cette conclusion, sur les arguments et raisons nécessaires qui l’y ont conduit. Quelle imposture ! quelle malhonnêteté !
On retrouve une ambigüité équivalente chez Guy Loutan et Simone Fayeton. A chaque fois qu’ils expriment leurs considérations théoriques par écrit, une sorte de préambule est placé, qui feint d’insister sur le fait que cette entente religieuse n’est pas nécessaire, ni même utile en clinique. Le seul problème est que tous leurs écrits cliniques sont parsemés de considérations religieuses ! Alors, si cela n’est pas nécessaire, ni même utile, pourquoi parler de cela sans cesse ?
De surcroit, la vision religieuse masiste m’apparaît bien pauvre. Il s’agit plus d’une vision moralisatrice et culpabilisatrice de la religion que d’une dimension mystagogique, qui ouvre à l’expérience concrète de Dieu. Peut être, devrait-il à lire « La santé, un défi spirituel » d’Anselm Gruhn. Ce moine bénédictin a l’humilité de se référer (sans se départir, bien sur, de son esprit critique ni de sa foi) aux savoirs contemporains sur le psychisme. Il souligne ainsi ce qui, dans la tradition religieuse à laquelle il appartient, converge avec ces données contemporaines et insiste, avec lucidité, sur le caractère néfaste pour la santé, d’une religiosité mal comprise, interdictrice et menaçante. Comme quoi, certains arrivent à prendre en compte la dimension spirituelle de toute vie sans tomber dans le rigorisme et le moralisme, la culpabilisation (implicite, voire, parfois explicite) et le renfermement sectaire.
Voyons le troisième point d’achoppement de leur démarche.
L’imposture du recours à Saint-Thomas d’Aquin :
J’ai déjà cité la tirade de Masi affirmant, sans rire, qu’il avait été amené par une étude minutieuse et sérieuse, à la conclusion qu’«Hahnemann n’était rien d’autre qu’un thomiste spécialisé en médecine ou, dit autrement, que l'homéopathie était la vision thomiste de la médecine».
Mais, s’en référer, comme le font les masistes, à Saint-Thomas d’Aquin au titre que ce serait le plus grand connaisseur de l’âme humaine relève de l’escroquerie intellectuelle. Non que ce ne soit pas une grande figure intellectuelle. Non que ce ne soit un auteur digne de respect. C’était, et cela reste, au contraire, un immense théologien. L’escroquerie n’est pas chez Saint-Thomas d’Aquin, elle est chez ceux qui l’utilisent, aujourd’hui, 800 ans après qu’il ait écrit ses ouvrages pour lui donner un statut qu’il n’a point.
Quand Masi dit que chez nul autre auteur, il n’a trouvé une telle connaissance de l’âme humaine, il y a deux solutions.
- Il cherche à nous tromper.
- Il est inculte.
Je penche pour la première hypothèse.
Il n’est pas vrai que l’on ne puisse trouver chez nul autre auteur une aussi profonde connaissance de l’âme humaine pour une raison bien simple. C’est que la connaissance que Thomas d’Aquin a de l’âme humaine n’est pas de « première main ». Cette connaissance, il l’emprunte chez Aristote qui l’a précédé de 7 siècles ! et Thomas d’Aquin n’augmente pas la connaissance humaine d’Aristote, il la traduit, et c’est le but déclaré de son entreprise, en langage chrétien.
En effet, il faut savoir que Saint Thomas d’Aquin (1225-1274) est le théologien officiel de la religion catholique, au moins depuis le concile de trente au XIV ° siècle qui en fit son théologien universel.
Il faut, surtout, savoir que son oeuvre a, avant tout, constitué en l’adaptation de l’oeuvre d’Aristote à la théologie chrétienne et la doctrine catholique. Il est ainsi venu, au fil du temps, à représenter, à lui seul, la théologie chrétienne traditionnelle.
Ainsi, pour l’essentiel, la philosophie de Thomas s’inspire des thèses aristotéliciennes, en les rendant compatibles avec la révélation chrétienne.
Par exemple, Thomas d’Aquin reprend l’idée d’Aristote selon laquelle la fin de la vie humaine est le bonheur, et ceci dans les termes mêmes d’Aristote, mais, dans son projet de donner aux descriptions et thèses aristotéliciennes une forme et une conformité avec le dogme catholique, il déclare que le bonheur ne peut être réalisé que par la vision de Dieu. D’où, l’idée de béatitude qui revient sans cesse dans les écrits de l’AFADH…avatar chrétien du bonheur humain dont parle Aristote.
Il n’y a pas lieu, ici, de réduire la valeur de l’oeuvre de Thomas d’Aquin ni de l’accuser de plagiat. Il s’agit juste de remettre sa démarche dans sa perspective historique. D’ailleurs cet intérêt pour Aristote n’est pas propre à Thomas d’Aquin. La première moitié du XIII° siècle est profondément marquée par l’irruption du corpus aristotélicien dans tout le monde latin (Cf. « Le nom de la rose » où l’on voit l’impact de l’oeuvre d’Aristote sur la vie d’un monastère).
Il faut simplement être conscient du fait qu’Aristote était alors l’autorité suprême et indépassable. Il n’était pas question de prétendre ajouter de la connaissance à ce qu’il disait mais de rendre compatible ce qu’il avait dit et observé avec l’idéologie alors dominante. Pour le Moyen-âge chrétien, il n’était pas question de laisser l’autorité entière au païen Aristote. Il convenait donc de « traduire » (mais traduire, c’est le plus souvent trahir, n’est-ce pas ?) son savoir sous un habillage chrétien.
Rien ne justifie donc de dire que pour décrire les difficultés, tourments, aspirations, déviations de l’âme humaine, il faille s’en référer à la Somme de Thomas d’Aquin sauf à avoir en tête un projet de prosélytisme religieux.
Je vais donc donner, maintenant, quelques exemples concrets, relevés, ici et là, il y a embarras du choix, dans le répertoire de Guy Loutan. Tous les mots entre guillemets sont la transcription exacte du répertoire sus-nommé.
Exemples de dérapages masistes:
Sur Alumina, qui a un réel problème d’incarnation et d’obéissance, pourquoi ne pas dire les choses simplement au lieu d’inventer qu’Alumina «ne veut pas être incarné dans un corps dont l’immortalité dépend de son obéissance à un supérieur » ? A quoi sert-il de poser la question suivante : « et si ma matière est utilisée par la volonté d’un autre, de Dieu ? ».
Sur Bromium : qui, c’est vrai, « veut échapper au travail domestique, à sa profession », quel est l’intérêt d’ajouter « au quotidien terrestre » ?
Sur Causticum : où peut se trouver la justification qui mène à écrire : « il veut mener les autres à leur fin, mais pas comme une créature, en tant qu’intermédiaire, mais absolument comme Dieu ». Comme il peut se montrer ingrat, l’AFADH affirme « est accusé de n’avoir pas restitué à Dieu l’amour qu’il lui donnait ».
Sur Chloroformium : qui veut être l’égal, familier avec ceux qui lui sont supérieurs et par exemple s’adresse avec familiarité avec le médecin. Cette intéressante observation clinique nécessite-t-elle le délire suivant ? « Exige comme un droit l’intimité que le créateur lui offre par générosité. C’est un droit pour Dieu d’être familier avec ses créatures, puisqu’il est source de leur être, alors que ce n’est pas un droit pour la créature, d’être l’intime du créateur ».
Sur Hydrastis : la longue phrase suivante présente-t-elle le moindre intérêt clinique : « les créatures sont aimées de Dieu en tant qu’elles lui ressemblent. Hydrastis voudrait aimer les autres en tant qu’ils lui ressembleraient, alors qu’ils ne lui ressemblent qu’en tant qu’ils sont, comme lui, créatures de Dieu ».
Et je terminerai avec Hyosciamus : « essaie de redevenir Dieu qui règne par l’ordre sur les troupeaux. Sur les assemblées, par son éloquence et sa sagesse ». Pourquoi ce charabia ? Tout simplement pour rappeler le signe clinique « parle d’un sujet qu’il ignore comme s’il le connaissait parfaitement ».
Que penser, ensuite, de la phrase : « Ne se sent pas à la première place dans l’amour de Dieu, il en a été chassé, il veut remplacer la confiance par la connaissance. Refuse de connaître Dieu par la grâce et non par la raison ». Ce verbiage, en fait, est là à la place d’une explication psychologique toute simple, tellement vraie et évidente. A savoir que Hyosciamus a souvent manqué de l’attention et de l’affection dont a besoin tout enfant. Aussi, faute de cette sécurité affective, de cette « confiance », a-t-il tendance à chercher à se rassurer par la connaissance, du côté du mental ?
Conclusion :
Les travaux cliniques des masistes, de l’AFADH et d’autres, ne sont nullement dénués d’intérêt. Pour autant, ils sont formulés dans une langue qui est artificiellement et intentionnellement théologique. Elle a pour but de faire croire que la clinique et l’observation de l’âme humaine amène naturellement à des conclusions conformes à la théologie catholique. Il n’en est, évidemment, rien.
Car ce qu’il y a de pertinent, en réalité, dans la description de l’âme humaine à laquelle se réfère et qu’invoque sans cesse l’AFADH ne doit que peu à Thomas d’Aquin. Presque tout vient d’Aristote et d’une observation empirique, dénuée d’arrières pensées idéologiques. C’est une imposture, une escroquerie intellectuelle, de le présenter comme étant une découverte de Thomas d’Aquin. Si certains masistes sont, peut être, des naïfs, il n’est pas possible que Masi et les plus grandes figures du masisme ignorent ce fait. Il y a donc, là, une intention délibérée de tromper ! Un mensonge sur l’origine de la connaissance de l’âme humaine utilisée. Le passage d’un discours universel (Katolicos (sic) en grec !), ouvert et purement descriptif, à un discours « sectaire », fermé sur lui même (un indien ou un chinois peut comprendre ce que dit Aristote, peuvent-ils comprendre le charabia de l’AFADH ?) et appauvrissant par rapport à l’original.
Ainsi, loin d’amener de la clarté, loin de permettre de mieux comprendre l’être humain, les masistes jargonnent tellement que leur discours éloigne régulièrement de la simplicité des choses.
La question se pose alors de savoir ce que l’on doit penser de la complaisance (je n’ose écrire complicité) d’une frange du monde homéopathique vis-à-vis d’une telle démarche. Indifférence, vague admiration pour un discours pseudo-spirituel, lâcheté ou paresse intellectuelle? Je ne sais pas. A chacun de répondre.
Pour ce qui me concerne, à propos de médecine, de connaissance et de spiritualité, je préfère, et de loin Pascal à Thomas d’Aquin. Blaise Pascal, savant et chrétien. Chrétien et savant. Il pensait que le plus important pour l’être humain était Dieu, la Foi. Il pensait qu’il faut se comporter selon la volonté de Dieu.
Mais il était convaincu que la théologie ne peut dicter à la science ce qu’elle doit considérer comme vrai. Il n’hésita pas, ainsi, à critiquer le décret qui condamnait Galilée en disant : « ce n’est pas cela (la condamnation) qui prouvera que la terre demeure en repos ». Pour lui, si dans le domaine religieux, l’important est la Foi, le fait de croire sans raison, dans le domaine de la connaissance, il s’agit d’argumenter et de prouver ce que l’on dit. Il a « théorisé » cela en prônant une Justice selon les Ordres (c'est à dire, les domaines). Ceci signifie, pour le chrétien Pascal, que chaque sphère obéit à ses propres lois. Révélation et Foi pour le religieux. Preuves et arguments rationnels pour le domaine de la connaissance des choses et des êtres.
On a, bien sur, le droit d’être médecin homéopathe et chrétien. Comme on a le droit d’être médecin homéopathe et bouddhiste, musulman, athée, juif mais aussi shintoïste, taôiste, etc. Chacun est libre de ses convictions, évidemment ! Dans sa sphère privée et dans ce qui relève des mystères qui dépassent toute connaissance possible.
Mais, dès lors, que l’on prétend dire des choses relevant, non de la Foi, mais de la connaissance, on a, on se donne, par là même, des devoirs. Tout d’abord, celui de transparence. Transparence sur les véritables sources de ce que l’on avance et sur ses intentions. Ensuite, sur le devoir de rendre des comptes, donner ses raisons sur ce que l’on présente comme une vérité, sur ce qu’on affirme être le reflet de la réalité.
Auteur: Dr. Philippe Marchat. Mise en ligne, Novembre 2009.
Source: http://www.homeophilo.fr/textes/reflexions-sur-le-masisme.pdf
No hay comentarios:
Publicar un comentario